📘 La nécessaire évolution des modèles économiques pour intégrer les réalités environnementales et sociales
Bruno Colmant est un financier, fiscaliste, auteur et économiste renommé. Docteur en économie appliquée de l’Université libre de Bruxelles, il a dirigé la Bourse de Bruxelles, la société ING et la banque Degroof Petercam.
📊 Les limites des théories économiques classiques face aux réalités contemporaines
S’adressant à un public de financiers, Colmant souligne que les méthodes de valorisation actuelles s’ancrent dans des théories économiques historiques, lesquelles ont évolué significativement au fil des siècles. Les méthodes de valorisation — comment nous attribuons de la valeur aux biens, aux services, et aux actifs — sont directement issues des principes fondamentaux des théories économiques dominantes.
École Classique
L’école classique de la pensée économique, avec des penseurs comme Adam Smith, David Ricardo, et Jean-Baptiste Say, pose les bases de l’économie de marché. Dans un contexte de Révolution industrielle et de libéralisme politique, elle promeut l’idée que les marchés fonctionnent le mieux lorsqu’ils sont laissés libres, sans intervention excessive de l’État. Cette école met l’accent sur l’importance de la production et part du principe que toute offre créée sa propre demande (loi de Say). Il suffit donc de stimuler la production pour que tout aille bien.
Marxisme
Karl Marx, bien qu’issu de l’école classique, propose une critique profonde du capitalisme en mettant en lumière comment la valorisation dans un marché capitaliste est influencée par la relation entre le capital et le travail, et comment le capital extrait la valeur du travail (plus-value).
Keynésianisme
En réponse à la crise de 1929 et la Grande Dépression, John Maynard Keynes introduit une révolution dans la pensée économique en mettant l’accent sur la demande globale (demande agrégée) comme moteur de l’économie, surtout en période de ralentissement économique.
💸 Le néolibéralisme et ses effets sur la structure sociale et environnementale
Le néolibéralisme naît dans le contexte des crises économiques et des changements politiques des années 1970 et 1980, marquées par des chocs pétroliers, une inflation élevée et un chômage croissant. Les crises ont remis en question l’efficacité des politiques keynésiennes, qui encouragent l’intervention de l’État pour réguler la demande et maintenir le plein emploi, mais qui ont également conduit à une stagflation, combinant stagnation économique et inflation élevée.
Inspirées par les travaux d’économistes comme Milton Friedman et Friedrich Hayek, les idées de réduction de l’intervention de l’État, de dérégulation et de libéralisation des marchés gagnent en popularité. Ces économistes critiquent la gestion économique étatique, prônant une confiance accrue dans les mécanismes du marché pour réguler l’économie.
Ronald Reagan aux États-Unis et Margaret Thatcher au Royaume-Uni adoptent des politiques fortement influencées par les idées néolibérales, mettant en œuvre des programmes de réduction de l’intervention de l’État, de privatisation et de libéralisation.
🌍 Problématiques actuelles
L’omniprésence du marché et ses conséquences
La montée en puissance de l’économie de marché élargit la notion de marché à presque tous les aspects de la vie sociale et économique, ce qui entraîne des répercussions notables sur les politiques publiques et la gestion des ressources communes. Bruno Colmant critique cette évolution en soulignant que la prédominance du marché marginalise le rôle traditionnel de l’État, en promouvant une logique où l’efficacité du marché justifie son autonomie par rapport aux interventions étatiques.
La « marchandisation » du travail et les défis sociaux
Dans la perspective néo-libérale, le travail est perçu principalement comme une marchandise dont la valeur est déterminée par le marché. Cette perspective est particulièrement prévalente aux États-Unis, où la protection sociale est minimale et liée à l’emploi, forçant ainsi les travailleurs à suivre les « foyers de croissance » pour sécuriser leur accès aux soins et autres services sociaux.
Conséquences environnementales du consumérisme
Débutant dans les années 1950 et 1960, le consumérisme encouragé par l’économie de marché a entraîné des conséquences environnementales profondes. Le Club de Rome, dès 1968, avait déjà mis en garde contre ces dangers, mais leurs avertissements sont restés largement ignorés face aux priorités économiques de croissance et de développement.
🌱 Vision prospective et solutions
Réforme comptable et intégration environnementale
Bruno Colmant, qui a défendu une thèse de doctorat en comptabilité, insiste sur l’importance de parler au capitalisme avec le vocabulaire du capitalisme. Selon lui, la mise en œuvre d’une ‘comptabilité multicapitaux’ est cruciale, non seulement pour aligner la comptabilité avec les réalités environnementales et sociales actuelles, mais aussi pour transformer en profondeur les principes financiers traditionnels. Cette approche permettrait aux entreprises de mesurer et de valoriser de manière intégrée le capital, le travail et les ressources naturelles, contribuant ainsi à une prise de décision plus responsable et durable.
Rôle régulateur de l’État
L’État doit jouer un rôle clé dans la régulation de l’économie pour assurer un équilibre entre croissance économique et préservation de l’environnement. Colmant suggère que les gouvernements imposent des normes plus strictes sur les pratiques commerciales, en particulier celles qui affectent l’environnement.
L’évolution du rôle des gestionnaires d’actifs
Quel pourait être le rôle futur des banques et des gestionnaires d’actifs dans un tel contexte ? Ils évolueraient vers un rôle de certificateurs de processus, soulignant une évolution significative dans la gestion des risques et la conformité aux normes environnementales et sociales. Avec l’intensification de la réglementation environnementale et la prévalence croissante des critères ESG, les gestionnaires d’actifs assumeront un rôle plus actif dans la certification des pratiques durables des entreprises dans lesquelles ils investissent. Ce rôle iengloberait à la fois la surveillance des conformités mais aussi la valorisation des entreprises qui prennent des mesures proactives pour améliorer leur impact environnemental et social. Cette transformation marque un déplacement des responsabilités traditionnelles vers une implication directe et accrue dans la promotion de la durabilité au sein des marchés financiers .
Conclusion
Il est urgent d’adopter des modèles économiques qui reconnaissent et intègrent les réalités environnementales et sociales actuelles. Colmant invite tous les acteurs économiques, y compris les financiers et les régulateurs, à prendre part activement à cette transformation essentielle pour le bien-être des générations futures.
« Il est essentiel de sacrifier une partie de notre bien-être individuel actuel pour assurer le bien-être collectif des générations futures. ».
Bruno Colmant
Il appelle le secteur financier à prendre les devants face aux régulations inévitables en adoptant une comptabilité multicapitaux, la seule approche capable d’évaluer de manière intégrée le capital, le travail, et les ressources naturelles. En procédant ainsi, l’entreprise s’ancrera dans un écosystème élargi et occupera une position centrale dans la société de demain.
Pour aller plus loin :
La monnaie, entre néolibéralisme & Etat, un choix politique, Bruno Colmant (2023) 👉 Lien Fnac
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