Dans la série des constats sur le dépassement des limites planétaires, Charlène Descollonges, ingénieure hydrologue et lanceuse d’alerte, nous explique la perturbation du cycle de l’eau et ses conséquences.
💧 Eau Douce : Une Ressource Vitale
A l’échelle de la planète, quel est, selon vous, le pourcentage d’eau douce disponible sur Terre ?
Moins de 1% de l’eau sur la planète ! Car 2,5% de l’eau de la planète est constituée d’eau douce, mais une bonne partie est emprisonnée dans les glaces et le sol et une autre partie circule dans l’atmosphère. Ce chiffre met en exergue la fragilité de notre approvisionnement en eau douce et la nécessité d’une gestion plus stratégique et consciente de cette ressource critique. D’autant plus que nous, espère humaine, nous sommes approprié ces 1%.
🔄 Des perceptions erronées
Nous avons tous une compréhension erronée du cycle de l’eau, un cycle que nous avons appris à considérer comme bien fermé, infini et inépuisable, le même depuis la nuit des temps. Or la réalité est différente.
Nous avons oublié qu’une partie de l’eau est générée par évapotranspiration des végétaux : les deux tiers des précipitations continentales proviennent des végétaux. Le tiers restant provient des flux qui nous viennent des océans. Ainsi, même si la majeure partie des précipitations se fait sur les océans, tout repose sur le recyclage continental, grâce aux arbres et aux végétaux. Si on réduit le couvert végétal mondial, on réduit nos ressources en eau.
« Nous nous sommes appropriés l’eau »
Pour bien comprendre, il s’agit d’identifier les différents types d’eau :
• Eau bleue : c’est l’eau qui ruisselle, dans les cours d’eau, les lacs ou les nappes phréatiques
• Eau verte : c’est l’eau qui ne ruisselle pas, mais est stockée dans le sol et la biomasse, puis évapotranspirée
• Eau grise c’est celle des eaux usées domestiques et industrielles
La somme de ces 3 types d’eau représente 24 000 milliards de mètres cubes d’eau, soit l’équivalent de la moitié des fleuves et des océans. Rien que pour nous.
24 000 milliards de mètres cubes d’eau pour produire notre énergie, notre alimentation, nos objets du quotidien, les vêtements que l’on porte, tout absolument nécessite de l’eau, à un moment donné, dans sa fabrication.
« Aujourd’hui, le système économique fonctionne à l’eau »
Charlène Descollonges.
🇫🇷 La France et l’eau : stress hydrique, surconsommation, impact sur la biodiversité
En France, notre gestion de l’eau est inquiétante.
- En 30 ans, les ressources en eau renouvelable ont diminué de 14%. Cela signifie que la disponibilité de l’eau douce s’amenuise. D’autant plus que la France est en stress hydrique.
- Avec une spécificité : alors qu’en général dans le monde, 70% des prélèvements d’eau bleue sont dédiés à l’agriculture, en France, la moitié des prélèvements d’eau bleue est dédiée à l’énergie. Car on refroidit surtout nos centrales nucléaires avec de l’eau. Cette eau prélevée est ensuite rejetée.
- De l’autre côté, coté consommation, 58% de notre eau est consommée par l’agriculture. Le maïs a lui seul représente la moitié des surfaces irriguées. Ainsi, l’eau utilisée en agriculture sert essentiellement à produire de la viande. Or l’agriculture intensive appauvrit les sols, ce qui à son tour diminue sa capacité à générer un cycle de l’eau sain.
- l’empreinte quotidienne d’un français, c’est à dire son utilisation d’eau bleu+verte+ grise, chaque jour, contenue dans notre alimentation , nos vêtements, nos biens, c’est 4900 litres, hors empreinte énergétique. Probablement 8000 litres avec elle. C’est énorme, souligne-telle.
- Enfin, parce que tout est lié, en France, nous avons une magnifique biodiversité liée à nos cours d’eau. Or les barrages, les endiguements, les pollutions, les altérations hydrologiques, le fait de surpomper, tout contribue à faire pression sur la biodiversité aquatique.
🌡️ Quel lien entre cycle de l’eau et changement climatique ?
Le cycle de l’eau est lié au cycle du climat depuis la nuit des temps. Un réchauffement d’un degré Celsius entraîne une augmentation de 7% de l’évaporation dans l’atmosphère. Or l’ atmosphère étant un compartiment limité, elle dispose d’une capacité de stockage de vapeur d’eau limitée. On assiste donc à une accélération de l’évaporation, de la condensation, et de la précipitation. Les conséquences sont un assechement au Sud ( pourtour méditerranéen) et des précipitations plus abondantes dans les zones septentrionales. Avec des sécheresses plus intenses, des crues plus importantes et bien plus fréquentes. A plus 4°C, la terre est inhabitable.
Ces modifications apportent un nouveau défi pour les scientifiques : la perte de repères statistiques fiables, essentiels à la prévision et à la gestion des ressources en eau.
Petit retour en France, à notre Rhône : Historiquement choisi pour son abondance en eau, nécessaire au refroidissement des centrales nucléaires, le fleuve subit une réduction de débit préoccupante. On s’attend à une diminution de 20 % des débits d’eau dans les 30 prochaines années, ce qui pourrait compromettre l’approvisionnement en eau froide et, par conséquent, notre capacité à générer de l’énergie nucléaire.
🚜 Pourtant il existe des solutions : Hydrologie Régénérative
Face à la modification de nos sols et au détournement des cours d’eau, l’hydrologie régénérative se propose comme solution. L’idée n’est pas seulement de protéger l’eau, mais de restaurer et de renouveler le cycle de l’eau à travers une gestion éclairée des territoires. Les méthodes qui respectent les bassins versants naturels et qui restaurent la santé des écosystèmes aquatiques existent. » « L’hydrologie régénérative, c’est l’art de ralentir, de répartir, d’infiltrer l’eau et de permettre le ruissellement dans les sols. »
Ainsi en Champagne , des viticulteurs réimaginent leurs vignobles en faisant aller les vignes, non plus dans le sens de la pente, mais perpendiculairement, comme le faisaient les Romains .
Ces initiatives montrent que des changements positifs, qui passent par une conception totalement différente du paysage, sont possibles et efficaces.
🌱 Une invitation à penser autrement
Comment votre consommation d’eau quotidienne se reflète-t-elle dans les opérations de votre entreprise ? Vos pratiques actuelles sont-elles alignées avec une vision d’avenir où l’eau est traitée comme le trésor qu’elle est réellement ?
En tant que dirigeants, privilégiez la réhabilitation des espaces déjà bâtis plutôt que d’investir dans les terres naturelles, préservant ainsi le potentiel pour des initiatives d’hydrologie régénérative.
« Pour moi, les hydrosystèmes – rivières, lacs, zones humides – sont incroyablement vivants. Ils ont des dynamiques, ils bougent, changent de forme, leur état de santé peut se dégrader et comme nous, ils peuvent guérir. En fait, cela dépend de nous. » conclut-elle
Cet article et la note visuelle qui l’accompagne sont issus du parcours Convention des Entreprises pour le Climat Monde Financier
Pour en savoir plus sur l’eau et l’hydrologie regenérative : la conférence de Charlène Descollonges à ChangeNow
Dans la même série :
🔄 #1 Etes vous prets pour le sursaut climatique ?
🔄 #2 Qu’est-ce qu’une entreprise régénérative ?
🔄 #3 Feuille de Route pour l’Entreprise Régénérative
🔄 #4 Le rôle des Écosystèmes Coopératifs
🔄 #5 Feuille de Route pour l’Entreprise Régénérative
🔄 #6 L’Odyssée Régénérative d’Expanscience
🔄 #7 Un nouveau départ vers le finance regénérative
🔄 #8 Dernier rapport du GIEC : A quand la prise de conscience, par Nadia Maïzi
🔄 #9 Quel monde pour demain ? par sandrine Dixson-Declève
🔄 #10 Biodiversité et action humaine, par Bruno David
