De temps en temps, il nous faut prendre notre courage à deux mains et plonger dans un livre bien documenté qui nous parle de notre monde. Tel qu’il est, sans fioriture, ni exagération, mais sans catastrophisme non plus. Ce livre-là est à la fois sans concession sur le constat et très revigorant sur les solutions : elles existent, elles sont simples, à la portée de chacun pourvu qu’il ait de fortes convictions, l’envie de partager l’aventure et le goût d’entreprendre. Elles s’appellent « made in local ». Et voilà que nous sommes embarqués dans ces histoires d’entrepreneurs qui ont dynamisé leurs territoires. Car le local, ça marche !
Avant de démarrer, partageons le constat : au Sud comme au Nord, la mondialisation a engendré des dégâts culturels, sociaux, économiques et écologiques. Nous avons créé une économie suicidaire dit l’économiste David Korten, dans lequel l’entreprise est devenue le principal agent de destruction de notre environnement. Alors que la richesse produite dans une région peut s’accroitre rapidement lorsqu’une grande entreprise s’y installe, paradoxalement les acteurs locaux s’appauvrissent relativement à cette richesse créée. Les bassins régionaux dépendants d’une industrie unique sont fragilisés et n’ont aucune possibilité de résilience face à une évolution de la demande. Or de nos jours, qu’est-ce qui change plus vite que la demande ?
Les succes stories les plus brillantes de ces dernières années ont été le fait de petits pays. Peter Drucker, 1993
C’est que nous avons, dit Souchier, oublié quelques règles simples :
D’abord celle de la biosphère : aucun organisme individuel ne peut vivre sans être constamment en relation avec d’autres. Tous sont à la fois locaux et indépendants, et connectés et interdépendants. Nous devons donc penser diversité et rééquilibrer le régional (ou local) face au global (la mondialisation). Nous devons penser soutenable1, c’est à dire compatible avec les systèmes vivants dont la survie de notre espèce dépend.
Ensuite l’effet multiplicateur du local2 : les entreprises locales dépensent DEUX à QUATRE fois plus d’argent dans l’économie locale que ne le font les entreprises non locales.
Fichtre. Faites le calcul. Rien qu’avec deux fois plus d’argent dépensé localement, avec 1000€ reçus, une entreprise locale dépensera 600€ localement contre 300€ pour une entreprise non locale. Redépensés localement par une entreprise locale, c’est alors 360€ qui bénéficierons à l’économie locale contre 90€ de l’autre côté. A l’issue du 6eme tour, une entreprise locale aura généré 1 460€ de dépenses locales, contre 428€ par l’entreprise non locale. Demandez-donc à votre maire ce qu’il en pense !
Enfin, l’impact de la taille d’une entreprise : les petites entreprises créent plus d ’emplois que les grosses ; plus les petites entreprises sont nombreuses sur un territoire, plus le taux de croissance est élevé. Sans parler de la rapidité d’action d’une petite entreprise, qui est susceptible de s’ajuster rapidement aux perturbations extérieures. Small is beautiful.
Créons donc un écosystème local sain et prospère, à partir d’une vision du monde puissante et créative !
Voici quelques belles histoires d’entreprises, fondées sur le développement local :
- Organic Valley, originaire du Wisconsin, première coopérative indépendante d’agriculteurs familiaux biologiques d’Amérique du Nord. Passée de 7 à 1670 coopérateurs, elle est née dans les années 1990 parce qu’un fermier refusait la disparition programmée des fermes familiales.
- Zingerman’s, basée à Kerrytown, quartier historique de la ville d’Ann Arbor dans le Michigan. A l’origine boutique vendant du corned-beef, des bagels et des brownies, elle est devenue 30 ans plus tard une communauté d’entreprises, fédérées autour d’un même label, Zingerman’s™. Toujours basées à Kerrytown, elles réalisent aujourd’hui 43 millions $ de chiffre d’affaire, 1,5 millions$ de bénéfices, emploient 515 personnes, et s’approvisionnent presque exclusivement en local.
- Les coopératives Evergreen, basées à Cleveland dans l’Ohio. Nées après la faillite de la ville dans les années 80, elles découlent d’un pari simple : créer des emplois verts et conserver les ressources financières au niveau local, en partant des besoins en approvisionnement de l’hôpital et de l’université locale. S’inspirant du modèle de Mondragon au pays Basque, les coopératives – blanchisserie verte, installateur de panneaux solaires, serre hydroponique..-s’avèrent obtenir un retour sur investissement plus rapide et une productivité plus élevée que le secteur privé conventionnel.
Le mouvement local apprend de ses erreurs et de celles des pionniers : Seventh Generation, Ben & Jerry, The Body Shop, cette génération d’entreprises responsables a fini par se faire absorber par le modèle économique dominant, dont l’exigence de profit à court terme ne permet pas un développement soutenable pour la planète. Tirant les leçons de ces expériences, ils montent des réseaux pour se soutenir, développer ou promouvoir une économie différente : la Balle (Business Alliance for Local Living Economies), le label B Corporation, Slow Money…
Côté français, le livre cite quelques exemples d’initiatives locales, comme le Pôle Sud Ardèche, Culture et Coopération à Saint Etienne, relativement peu nombreuses en regard des réseaux nationaux qui se développent chez nous.
Banques, fournisseurs d’énergie, média, tiers-lieux sont eux aussi susceptibles de changer de vision.
Le stade ultime consiste à créer une économie regénérative, dont l’objectif consiste, comme son nom l’indique, à regénérer ce que le système actuel détruit. Grâce à une valeur d’usage la plus élevée possible, une durée de vie la plus longue possible, elle aboutira à une meilleure compétitivité. Le mouvement est d’ailleurs en marche : Schindler ne vend plus des ascenseurs mais loue de la mobilité verticale, Xerox ne vend plus des photocopieurs mais de la reproduction sur mesure. Que se passerait-il si la responsabilité des entreprises consistait à concevoir des produits performants et pérennes qui restaurent les écosystèmes et apportent prospérité et travail pour tous ? Pour ces réseaux, c’est possible, les principes de bases ont été pensés, décrits, testés. Ça commence par des produits fabriqués localement, soutenables et responsables, portés par un écosystème de consommateurs locaux.
Pour cela reste un obstacle à franchir : celle qui consiste à prendre nos barrières conceptuelles pour des réalités infranchissables. Pensons différemment, participons avec nos atouts actuels à l’émergence d’une nouvelle économie. Ce livre m’aura donné l’envie de faire quelques premiers pas : adhérer à un système d’approvisionnement local, changer de banque, m’approvisionner plus encore dans les boutiques de mon quartier. Il m’aura montré, chiffres et exemples à l’appui qu’une « vision puissante et créative » était déjà en marche. De quoi se sentir moins seul dans la co-création de cette nouvelle économie !
Il ne s’agit pas de préparer un avenir meilleur mais de vivre autrement le présent – François Partant
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1 soutenable : traduction de l’anglais sustainable car le terme durable sous-entend qu’il faut faire durer le développement, ce qui n’est pas certain.
2 source : Shuman M., The BALLE, Economic-Developement Handbook, BALLE 2011. Cité par R. Souchier p52