Aujourd’hui j’ai invité Alain Roy, un de mes collègues médiateur aux Chambres Sociales de Paris, à partager avec nous quelques histoires de médiation. Il revient dans un premier temps sur l’intérêt de la médiation judiciaire, puis nous raconte quelques anecdotes qu’il a vécues ou qui lui ont été rapportées.
Un problème humain avant tout
Si on se retrouve en Cour d’appel avec un problème qui n’est toujours pas réglé, après tant d’années, c’est qu’il ne s’agissait pas d’un simple problème technique ou financier, mais bien d’un problème humain, un conflit relationnel. Ou alors, c’en est devenu un au fil du temps, du fait de la tension créée par l’absence prolongée de solution.
Dans les deux cas, les parties sont tombées dans ce qu’on peut appeler le piège du conflit : elles y sont prisonnières, agies par le conflit, et ne peuvent plus en sortir seules, quelque soit le talent de négociateurs de leurs avocats, eux-mêmes happés par le piège du conflit.
Sortir du piège du conflit grâce à un tiers
Pour sortir de ce piège, les parties doivent donc faire appel à un tiers :
- soit c’est le juge, qui tranchera entre les deux positions que se sont construites les parties
- soit c’est un médiateur, qui aidera les parties à déconstruire, pierre à pierre, leurs deux positions inconciliables, pour pouvoir reconstruire ensemble une solution commune.
En Cour d’appel, c’est la médiation judiciaire qui est proposée par le juge quand il estime qu’une solution trouvée en médiation par les parties elles-mêmes leur apportera une meilleure issue au conflit qu’elles vivent.
Les accords de médiation sont d’une nature différente
Les accords de médiation sont d’une nature différente des sentences que pourront prononcer les juges et n’apportent donc pas la même réponse au conflit :
- le juge doit juger en droit et ne peut juger en équité (comme le peut l’arbitre si les parties le lui demandent)
- le jugement se limite au litige porté devant le juge alors que la médiation peut s’étendre à toute la relation entre les parties, et donc traiter le conflit sous-jacent (image de l’iceberg)
- le jugement se limite à sanctionner le passé, alors que la médiation permet de prendre en compte le passé, mais aussi de construire un futur cola sentence du juge résulte de l’application du code alors que les accords de médiation peuvent faire appel à la créativité des parties et mettre en œuvre des solutions innovantes et sur mesure, donc toujours adaptées au problème
- la sentence du juge s’impose aux parties et fera au moins un malheureux, alors que les accords de médiation (qui surviennent dans deux médiations sur trois) sont une décision commune des parties : ceci élimine l’alea judiciaire et assure une exécution à 100%
- les parties peuvent s’exprimer elles-mêmes dans le cadre confidentiel de la médiation, alors qu’au tribunal elles sont représentées par un avocat qui parle à leur place, et sont en quelque sorte dépossédées de leur conflit
- le caractère confidentiel de la médiation permet aux parties d’aborder des points qu’elles n’auraient jamais voulu aborder dans une audience publique
- le jugement confirme le statut de victime en y apportant une réparation sanction, alors que la médiation permet à la victime d’accepter sa part de responsabilité dans ce qui s’est passé (une relation se construit à deux) et donc de sortir de la médiation libérée de ce passé (tout en le réparant si nécessaire).
La médiation judiciaire a bien pour objectif de permettre au juge d’apporter une meilleure solution au conflit porté devant lui. Les quelques « histoires de médiation » ci-dessous visent à illustrer cette nature différente de la médiation par rapport à la sentence du juge. Elles sont issues de la pratique des médiateurs aux chambres sociales de la Cour d’appel de Paris ; les faits ont été transposés ou adaptés pour rendre l’histoire anonyme et préserver la confidentialité de la médiation.
Histoires de médiation, histoires de vies
La tasse de café
Une femme de chambre a été licenciée par un hôtel de luxe pour une accusation de vol. Sur le moment, dans l’émotion de l’accusation, elle avait nié être entrée dans la chambre, ce qui était prouvé électroniquement. Quand elle a voulu revenir s’expliquer le lendemain, on lui a refusé l’entrée, et elle n’a pu le faire.
Blanchie depuis au pénal, elle vit très mal d’avoir été exclue de cet hôtel qu’elle adorait et qui était pour elle « sa maison ».
La médiation se fait avec la DRH et le Directeur de la sécurité. Celui-ci lui dit que son rôle est de protéger non seulement l’hôtel et les clients, mais aussi les employés, et qu’elle aurait dû insister pour le rencontrer ou lui téléphoner.
On s’explique et comprend mieux de part et d’autre comment ce « raté » a pu se produire .
L’accord de médiation prévoira non seulement le versement d’une indemnité, mais aussi que la femme de chambre rentrera encore une fois à l’hôtel, invitée par la DRH pour prendre un café. La femme de chambre sort de la médiation la tête haute, et peut repartir dans la vie.
Elle a aussi l’avantage de n’avoir pas fait condamner son employeur, ce qui est important dans un petit milieu où tout le monde se connaît ( elle avait d’ailleurs été réembauchée dans un autre hôtel par le même directeur qui l’avait licenciée dans le premier).
La vraie raison
Un cadre est licencié pour faute grave après 25 ans de service dans une PME.
Il est très amer de cette décision qu’il ne comprend pas, car il a consacré toute sa vie à l’entreprise et s’est dépensé sans compter : c’est tout son monde qui s’est écroulé ce jour-là.
En médiation, on lui dira les yeux dans les yeux : « si on t’a licencié, ce n’est pas parce que tu étais devenu mauvais, mais on avait des difficultés économiques et il fallait dégager des gros salaires ». Le cadre sortira de la médiation le sourire retrouvé et la tête haute, en plus d’une indemnité qu’il accepte comme étant raisonnable.
-Histoire relatée par un magistrat.-
La transaction ratée
Dans une grosse association commerciale, une transaction de départ est ébauchée, mais avorte, et se transforme en licenciement dans des conditions discutables.
Le Conseil des Prud’Hommes sanctionne l’association mais le quantum alloué (total de la somme d’argent) ne satisfait pas le salarié qui fait appel.
En appel, le magistrat, sentant bien lors des plaidoiries l’ambiguïté du dossier, propose une médiation qui est acceptée. Comme le directeur qui avait licencié le salarié a lui-même été licencié depuis, le salarié se retrouve en médiation devant un président envers lequel il n’a aucune animosité, ce qui facilite le dialogue.
En fait de médiation, il s’agit plutôt d’une négociation assistée par un tiers médiateur, et un accord est trouvé en une seule réunion plénière. A la fin de la réunion, les deux parties conviennent spontanément que cette affaire n’aurait jamais du venir en justice et faire perdre du temps et de l’énergie à tout le monde; les avocats, qui ont contribué activement à l’élaboration de l’accord, sont satisfaits que leurs clients aient pu trouver une solution qui leur convient.
Alain Roy
Ingénieur d’affaires, Alain Roy est aujourd’hui médiateur et formateur en médiation, en particulier sur le processus de médiation et sur la créativité en médiation. Il est vice-président de l’ANM, Association Nationale des Médiateurs, et coordonne en 2012 le groupe des médiateurs judiciaires aux chambres sociales de la Cour d’appel de Paris. roy.al@wanadoo.fr
Crédit photos : Swamibu, tiffany1985, Roberto Maldeno, Netgnom, taxbrackets.org
Merci Christine et merci à ton invité. Ces exemples me parlent beaucoup de la part du malentendu dans les désaccords. Et c’est clair, un tiers objectif et professionnel permet de dénouer les situations. J’en retiens un point critique : ne pas chercher à s’en sortir seuls, savoir se faire aider. Voilà des explications et des exemples qui confirment ma conviction !
Merci Christine pour ton commentaire. Oui, il y a presque toujours une part de malentendu dans les conflits que je rencontre. Souvent aussi des besoins divergents. Mais pas souvent exprimés et même pas toujours conscients..