Nous étions une vingtaine vendredi dernier, pour la Rencontre Ouverte avec Raphaël Souchier, auteur de Made in Local et consultant en économies locales vivantes – c’est ainsi qu’il se définit lui-même- : quelques habitués ou curieux, mus par leur intérêt pour l’entreprise de demain, quelques proches qui pointaient enfin leur nez (ainsi il ne faut jamais désespérer du premier cercle même si votre deuxième cercle vous montre plus de fidélité), ainsi que ceux que je voyais pour la première fois et avec qui, malheureusement, j’ ai peu de temps pour faire connaissance. Sans surprise dans ces nouveaux venus un fort intérêt pour les thématiques du développement soutenable.
C’est que Raphaël Souchier est quelqu’un d’engagé. Les économies locales vivantes, plutôt que mortes, suicidées par l’absence de futur commun, c’est son truc. Ainsi nous dit-il, quand Arcelor est repris par Mittal dont la gestion est boursière et planétaire, l’avenir local n’est pas son problème. Les locaux sont dépossédés de leur capacité à penser l’avenir et perdent les leviers de commande. Discours altermondialiste ? Aujourd’hui en France, maintenant que nos politiques le disent, François Bayrou et Arnaud Montebourg en tête, le sujet n’est plus tabou et un peu plus de biodiversité fait immersion dans les modes de pensée. Le libéralisme pur et dur ne fait plus recettes : il n’y a qu’à regarder autour de soi pour en voir les résultats. Savez-vous qu’en France il n’existe plus que deux ou trois taureaux reproducteurs pour tout notre cheptel ? Nul besoin de s’étendre sur les risques de ce type de pratiques poussées à l’excès, mais il s’agit d’en comprendre la portée : l’état de santé d’un système vivant se manifeste dans sa capacité de résilience, c’est-à-dire dans son stock de réponses différentes possibles à une crise. Vous avez beau faire du sport tous les jours, si votre corps a perdu ses défenses immunitaires, la première maladie vous anéantira. D’après Raphaël –et tous les mouvements qui, de plus en plus nombreux, travaillent dans ce sens,- il en est de même pour l’économie : le rôle d’un organisme global est de rendre possible et saine la vie et la diversité en son sein. Économies globales et économies locales sont résolument liées, et constituent les deux faces de la même médaille. Un système vivant recherche tout autour de lui, à proximité, d’abord ce dont il a besoin pour se nourrir. Il maximise ses fonctionnalités en allant à l’économie. Sinon il entre en crise …. En privilégiant l’efficacité maximale à tout prix au dépend de sa capacité de résilience, le profit à court terme, en occultant les coûts sociaux et environnementaux, nous détruisons non seulement des écosystèmes mais aussi des sociétés entières. L’Europe se trouve ainsi au bord de la désintégration sociale.
Ne décrochez pas ! Malgré ce constat franchement déprimant, il nous reste un levier extrêmement efficace : l’entrepreneuriat, entrepreneuriat que je qualifierai d’engagé. Engagé dans le local, le soutenable, voire le circulaire.
Ainsi aux Etats-Unis, dans une logique de survie, 30 à 40 000 entreprises locales se sont unies pour créer des labels ou des réseaux différents : Balle, B Corp, Slow Money… Tout cela arrive peu à peu chez nous. Ces entreprises ont constaté que pour 100$ dépensées chez elles par les clients, 70$ recirculent sur le territoire, contre 15 à 20$ lorsque l’entreprise n’est pas locale (ces 15 à 20$ représentent les salaires et les taxes locales.. pas grand chose en somme). Ils forment des alliances entre acteurs qui partagent un destin et un avenir commun. Le territoire en constitue la clé de voûte. Le moteur est l’envie, le désir : nous ne pouvons pas changer le monde, allions-nous avec ceux qui ont envie de faire quelque chose ensemble. Les entreprises deviennent acteurs du bien commun.
En France la logique de territoire se dessine notamment autour des pôles territoriaux de coopération économique, pour faciliter le regroupement des acteurs autour de pôles d’activité. Dans la commande publique, les clauses sociales et environnementales se développent, permettant de faire de la place au développement de l’activité locale et ouvrant vers la résilience du territoire.
A ma question portant sur la réaction des entreprises françaises à son livre, Raphaël répond : lorsque je les fais se rencontrer en atelier, elles commencent par se découvrir. Puis elles respirent ! Elles découvrent que ça marche : peu est communiqué sur les entreprises qui réussissent sans bruit alors que de nombreux acteurs font un travail formidable. Ainsi la transformation commence par un changement de regard. ..
Les remarques affluent : le témoignage d’un participant à propos de Lodève, commune de l’Hérault, où Raphaël a animé un réseau d’entrepreneurs pendant plusieurs années. Le plus frappant peut-être était la bonne humeur et la joie qui y régnait grâce à l’esprit de réseau et d’entraide. Un spécialiste du conseil aux élus locaux remarque que souvent les collectivités territoriales ne savent pas réaliser l’ingénierie de projets innovants impliquant de multiples parties prenantes. La discussion s’engage sur le rôle des politiques : soutenir certes, mais ils ne seront pas les principaux moteurs, ce qui au final, est plus pertinent si on prend en compte la capacité de résilience nécessaire pour une coopération économique locale qui se construit sur du long terme . Les entreprises, même mal aimées des français, sont les acteurs les mieux placés. Entreprises familiales, entreprises de l’économie sociale et solidaire, PME et TPE qui ne font pas de bruit, sont les moteurs d’une nouvelle dynamique économique. Petite séquence publicité fort à-propos pour annoncer la création de plateformes collaboratives locales, centrées sur un territoire de 20km, les « Human Smart Communities », présentes aujourd’hui à Nantes et à Villeneuve sur Lot. Des success stories sont échangées, comme celle du Mené1 territoire breton en déshérence dans les années 60, devenu aujourd’hui le premier territoire rural à énergie positive à l’horizon 2030. Ou l’histoire de ce maire de la région parisienne, convaincu que s’il invitait ses concitoyens à contribuer au développement du territoire, personne ne viendrait. Les faits lui ont prouvé le contraire…
Comme toujours dans les Rencontres Ouvertes, le temps d’échange en petits groupes est animé. Les discussions portent sur les sujets suivants :
• Comment chacun peut-il faire quelque chose pour être acteur de son économie locale ?
• Comment les artistes peuvent ils retrouver une place dans l’économie locale ?
• Les grandes entreprises, « grands ennemis » de l’économie locale, sont des parties prenantes : comment les intégrer ? comment créer des synergies ?
• L’identification à sa région est-elle naturelle chez nous ? Nous sentons-nous francilien ?
• Les pôles de compétitivité existent, les entreprises ont de tout temps cherché à se mettre en réseau notamment pour aller à l’international. La démarche de rester local est-elle naturelle ?
• Acheter local parle intuitivement à tout citoyen. Mais à qui s’adresse-t-on le plus souvent aujourd‘hui ? Au consommateur ou au citoyen ?
• Comment définir un territoire ? Quel est le bon maillage sachant que ce qui fait attraction va canaliser une émergence ? Quelles sont les conditions pour que cette émergence se produise ?
• Comment gérer l’étape où les acteurs institutionnels s’en mêlent ?
Raphaël Souchier réagit et répond à chacun. Il donne des exemples de Forums ouverts où l’invitation à participer enclenche de nombreuses initiatives, comme au Pic Saint Loup. Penser communauté d’intérêt, envie et vision partagée sont les maîtres mots de la responsabilisation. Il nous rappelle que même la Harvard Business Review note que les entreprises les plus performantes sont celles qui ont une relation puissante avec leur environnement.
Au moment où j’écris ces lignes je reçois deux informations : dans les Echos, un article sur les meilleures opportunités d’affaires en 2014 souligne le développement des services de proximité. Le cabinet McKinsey ouvre son magazine sur un conseil aux dirigeants : celle de se rapprocher et de la demande et des sources d’innovation. Ce qui peut signifier relocaliser. Héhé. Il semble que les déclics se produisent à tous les niveaux.