Interview de Manfred Mack

Manfred Mack

Manfred Mack

Manfred Mack: pleine valeur et émergence

Par Christine Koehler

Manfred Mack est consultant, ou plutôt “intervenant auprès des entreprises”, ainsi qu’il se définit lui-même. Son domaine d’intervention recouvre les nouveaux modes de management et je l’ai croisé à plusieurs reprises ces dernières années, chez SOL, lors d’un World Café avec le département formation de la RATP ou autour d’Otto Scharmer. J’ai enfin eu l’occasion de m’entretenir avec lui des sujets qui nous tiennent à cœur.

Quel rôle avez-vous joué en France dans la diffusion des pratiques collaboratives en général et du Forum Ouvert en particulier ?

J’ai commencé ma carrière chez McKinsey. J’ai rejoint ensuite trois autres anciens de McKinsey avec lesquels nous avons créé notre propre cabinet de conseil. C’est alors que j’ai participé à un groupe de travail lancé par l’Institut de l’Entreprise sur le thème du « Progrès Humain dans l’Entreprise ». L’Institut de l’Entreprise était (et est encore à ce jour) une instance de réflexion réunissant les patrons de grandes entreprises françaises. Le groupe dont je faisais partie a passé deux ans à étudier ce que ces entreprises faisaient en matière de management pour développer le progrès humain. Les résultats de ce travail ont été le point de départ de mon livre l’Impératif humain.

Cette expérience m’a propulsé vers une activité de « chercheur » en quête d’innovation managériale, dont le Forum Ouvert faisait partie. Cela est venu s’inscrire au cœur de ma démarche : faire des choses de façon ouverte, auto-organisée, voir l’entreprise dans l’optique de la complexité.

Quelques années plus tard j’ai participé à l’aventure du réseau SOL (Society for Organisational Learning) initié par Peter Senge du M.I.T. autour de l’entreprise apprenante. A l’intérieur de SOL, les entreprises étaient naturellement disposées à ces nouvelles approches. J’ai également animé un groupe de travail au Medef sur ce sujet, ce qui est devenu mon deuxième livre Co-évolution.

Enfin,  je me suis intéressé à la manière dont l’entreprise peut créer de la valeur, non seulement pour ses  actionnaires, mais pour l’ensemble de ses parties prenantes. C’est par une démarche de co-création de la valeur à partager que cela s’avère possible, ce qui implique de travailler autrement. Mon livre  Pleine Valeur  développe ces idées.

Henri Matisse La danse

Henri Matisse La danse

Racontez-moi votre expérience du Forum Ouvert

Il y a 20 ans, je travaillais comme consultant avec le groupe Accor. J’avais rencontré Harrison Owen grâce au Foresight group, un trio suédois qui travaillait sur l’intrapreuneuriat et organisait des séminaires de réflexion avec des gens comme Peter Drucker ou Jim Collins.  Ils avaient invité Harrison à présenter sa démarche, l’Open Space Technology. Il m’avait marqué par sa personnalité et je m’étais  dit que si l’occasion se présentait j’aimerais bien faire l’expérience d’un Forum Ouvert. Quelques mois plus tard Christopher Schoch, à qui on avait confié l’organisation de l’université d’été du groupe Accor, me demande si je connaissais quelqu’un qui sortait de l’ordinaire pour animer le tout nouveau séminaire annuel du groupe. Je lui ai parlé d’Harrison Owen, cela lui a parlé, il l’a contacté, et celui-ci est venu rapidement à Evry. La décision s’est prise très vite, nous avons travaillé ensemble quelques jours, et trois mois après, le séminaire avait lieu sous une tente, dressée pour l’occasion sur une suggestion de Harrison.  J’ai été bluffé à la fois par la personnalité d’Harrison, par la manière dont cela s’est fait, et par la rapidité de mise en place.

Le jour J nous avons supervisé l’installation : c’était éblouissant, spacieux, bien éclairé, magnifique. Il devait y avoir entre 150 et 250 participants du monde entier, je ne sais plus très bien,  la plupart des patrons d’hôtel. L’atmosphère était joyeuse, chaleureuse. Ces gens-là avaient le don inné du contact humain !

Le séminaire a démarré de manière très classique : les chaises étaient bien alignées devant une tribune où officiaient les orateurs. Puis nous avons fait sortir les participants qui sont allés déjeuner et nous en avons profité pour installer l’espace en cercles. Le retour des participants a été un moment très fort : ils étaient interloqués par l’espace, intrigués et cela a contribué à créer l’excitation. Lorsqu’Harrison est entré avec sa dégaine de cow-boy -mais sans son chapeau – l’atmosphère bruissait d’effervescence. À côté de moi, j’entendais la crainte des organisateurs “qu’est ce qui se passe s’il y’a pas de propositions ?” Mais dès la première minute, trente personnes ont littéralement sauté dans le cercle et il y a eu entre 30 et 40 sujets proposés à la discussion en un claquement de doigts.

Quel est votre  souvenir le plus marquant ?

Il y en a plusieurs, mais ce que je garde en mémoire c’est le climat d’effervescence de cet événement.

Mon plus beau souvenir c’est le chaos devant  le Mur des Nouvelles : Harrison nous avait bien expliqué les choses mais  il n’avait pas dit à ce qu’il fallait faire si on se retrouvait tout seul avec son thème de discussion. Trois personnes se sont retrouvées dans ce cas. J’ai pensé “ah les pauvres !” et bien pas du tout : l’un a réfléchi tout seul et les deux autres ont rejoint d’autres groupes.  Peu à peu les groupes sont partis travailler. Harrison avait  dit “vous pouvez aller dans les espaces réservés mais vous pouvez aller à aussi au bar ou à la piscine”. Une demi-heure après, sur le bord de la piscine il y avait un paperboard et un groupe très actif en pleine discussion ! Comme prévu, ça a fini quand ça a fini : certains groupes ont travaillé deux ou trois heures et d’autres ont travaillé toute la nuit… Certains ont  écrit des poèmes, d’autres ont fait des  dessins.

J’ai trouvé remarquable la facilité et la spontanéité avec laquelle les choses se sont faites.  Les sujets étaient de toutes natures, pouvaient porter sur un problème dans un pays, concernaient un nouveau produit ou bien un thème récurrent d’organisation qu’il fallait débloquer.  Je me souviens d’un sujet qui portait sur la façon de  faire un hôtel en forme de train !

Toute l’intendance suivait magnifiquement du fait de l’expérience d’accueil de ce groupe hôtelier. Les deux grands patrons, Paul Dubrule et Gérard Pélisson sont venus au démarrage “bénir le truc” et ne  sont revenus que vers la fin. Ce n’était pas plus mal car cela signifiait : « vous êtes libres, nous sommes OK avec ça, nous regarderons avec intérêt tout qui va sortir ». Ça sortait tout à fait de l’ordinaire et cette ambiance a perduré tout le long de ce jour et demi.

Il en est ressorti 30 ou 40 projets tous plus excitants les uns que les autres proposés par  des personnes toutes désireuses d’y aller.

Si je devais résumer cet événement en un mot je dirais que le maître mot c’est FUN !  C’est un souvenir inoubliable.

C’était tellement nouveau que Christopher et moi avons raconté ça dans la revue Management et Conjonctures Sociales.

Quels sont pour vous les risques des processus collaboratifs ?

A mon avis Harrison Owen était sans doute plus intéressé par le processus lui-même que par le souci que cela pénètre dans l’entreprise et il n’a jamais travaillé sur la mise en place des projets.  C’est la même chose avec le World Café. Je pense que la partie mise en œuvre doit être structurée.

Sur quoi travaillez-vous aujourd’hui ?

Aujourd’hui je continue à m’intéresser à l’émergence, et aux liens entre l’entreprise et la société civile, en élargissant encore le cercle de la valeur. Je continue à réfléchir à la façon de créer et partager la valeur globale : si on co-crée avec plusieurs parties prenantes, en accueillant l’émergence, cela génère une expansion de la valeur à partager. Ainsi la co-création donne accès à un réservoir de valeur considérable.

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