L’histoire du premier Forum Ouvert en France

[ L` INSTANT NOMADE : In The Mood To Discover The Ceiling and Find Inspiration By Looking UP ] The Novotel - Paris Charles de Gaulle = CDG = Terminal 3

A l’occasion de la sortie du premier livre sur le Forum Ouvert en français, voici venu le moment de revenir sur l’histoire du Forum Ouvert en France.

La France étant le pays de Descartes, où la rationalité semble parfois l’emporter au-delà de toute raison, on peut se demander comme un événement organisé en Forum Ouvert allait être perçu.

Le premier[1] Forum Ouvert a été organisé en France le groupe ACCOR en 1991, soit six ans après qu’Harrison Owen ait « inventé » autour d’un verre de Martini le concept d’Open Space Technology.  C’est précisément cette première histoire française que nous raconte Harrison dans sa préface du livre blanc.

Christopher Schoch, alors responsable du département Formation au Management du groupe Accor, et à ce titre en charge d’organiser l’université d’été du groupe,  raconte cette histoire dans l’ouvrage Tales from Open Space, publié en 1995 par ABBOTT PUBLISHING
Je l’ai interviewé récemment et voici ce qu’il en dit  :

Tout comme Harrison Owen, à propos de ce premier Forum Ouvert qui a été un grand succès, vous utilisez dans votre article le mot « désastre », pourquoi ?

« Au moment où nous avons organisé cet évènement, tout le monde était très curieux car personne ne voyait comment cela pouvait fonctionner. Certains s’attendaient à un désastre. Mais on nous avait fait confiance, d’une part parce qu’à l’époque il régnait un esprit  entrepreneurial dans le groupe et d’autre part parce ce que le Forum Ouvert arrivait à un moment logique dans le déroulement architectural  de l’université d’été.   Si je me souviens bien, un Forum Ouvert d’un jour et demi était intégré à l’Académie d’été, qui proposait aux dirigeants du groupe un parcours de découverte de cinq jours sur le thème du changement. Il clôturait l’université d’été et constituait son point culminant. Bien entendu, l’Académie avait été préparée avec les présidents, sans quoi  quelque chose d’aussi innovant n’aurait pas été accepté . L’invitation, traditionnelle pour un Forum Ouvert , était parue sous forme de journal, avec les photo des présidents en couverture. Le message était clair : « les présidents vous invitent ». Nous avions dressé un chapiteau de cirque dans la cour, l’effet était saisissant. .  Le Forum a été un grand succès, à tel point que nous l’avons renouvelé l’année suivante.

En 1992, année du cinq centième anniversaire de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, le thème de l’ Académie d’été  s’intitulait « la Découverte ». C’était aussi l’année où le groupe Wagons-Lits a fait son entrée dans le groupe ACCOR. Le groupe se demandait ce qu’il allait faire de toutes ces collaborateurs, et la question présente à l’esprit de tous les dirigeants était : « comment les intégrer ? » . Ils ont donc profité de l’université d’été pour cela – . Les  dirigeants du Sofitel en particulier  ont compris l’opportunité que cela représentait, et l’ont utilisé dans un but très stratégique : tous les cadres des deux groupes ont été invités et pendant deux jours et demi, ils sont travaillé sur le plan de la nouvelle organisation, qu’il a suffit ensuite d’affiner.  : Plus globalement, pendant trois jours, les  40% des participants qui venaient du groupe Wagons Lits ont pu ainsi échanger avec les « anciens » et s’approprier la culture d’ACCOR.

Pendant ce Forum Ouvert, un groupe de participants en profite pour regarder le Grand Prix de Formule1. Pour Harrison Owen, il s’agit du moment clé qui a permis le succès du Forum. Vous, vous en parlez comme un moment qui en ensuite généré des discussions passionnées. Parler d’engagement et donner un exemple où les participants ont regardé un Grand Prix de Formule 1, c’est paradoxal ! Qu’en pensez-vous ?

«Je me souviens très bien de ce moment-là. Quelqu’un était venu me chercher pour me prévenir  de ce qui se passait dans ce salon, et lorsque je suis entrée dans la pièce, je me serais cru dans une église. Tous les VIP[i] regardaient religieusement le Grand Prix. Je me suis senti piégé : on leur avait dit qu’ils pouvaient utiliser leurs deux pieds , et c’est précisément ce qu’ils avaient fait ! Comme je ne pouvais décemment pas leur  dire d’aller travailler, j’ai refermé la porte doucement.  Je suis retourné dire à cette personne très inquiète qu’il fallait faire confiance au processus. L’un de ces passionnés de F1 m’a dit ensuite qu’ils m’avaient tous vu entrer puis sortir piteusement… et qu’ils s’étaient sentis gênés pour moi. Après la afin de la course, ils se sont lancés dans une conversation enflammée sur leurs points communs et sur la raison de leur passion pour la F1 : « qu’est-ce que cela dit de nous » s’étaient-ils demandés spontanément. A l’atelier suivant, il s’était senti tellement libres d’entrer dans le dialogue qu’il a vécu alors la meilleure discussion qu’il ait jamais eue. N’est-ce pas formidable ?

Je crois que l’engagement ne s’exerce jamais dans le vide : c’est le degré de liberté qui permet l’engagement. Les gens s’engagent nettement plus lorsque l’engagement est librement choisi. N’oublions pas non plus que  le fait que les gens acceptent de venir à ce type d’événement est déjà un engagement en soi .  Les dirigeants n’ont donc rien à craindre, la clé réside dans la préparation et dans la manière de le présenter  aux participants : ce n’est ni une expression publique d’incompétence, ni une foire. C’est à eux d’en donner  le sens véritable, les collaborateurs suivront. »

  A propos des résultats du Forum ouvert chez ACCOR, vous racontez que  le directeur de l’Académie ACCOR, estime avoir gagné 6 mois à un an dans le processus de fusion du groupe qui s’opérait à ce moment là. Après trois ans (et de nombreux événements animés en Forum Ouvert), vous estimez qu’une forte identité collective a pu être révélée et renforcée et que le management du groupe en est sorti grandi. Est-ce le cas de tous les Forum Ouverts que vous avez facilité en France ?

« Oui, pour tous ceux qui ont bien fonctionné. En fait, la clé se trouve dans le comportement du patron. S’il est impliqué à un niveau ou à un autre, s’il joue le jeu, s’il participe, alors, oui, tout cela se produit à chaque fois. Avec un Forum Ouvert, on crée un espace-temps légitime pour que tous les invités s’expriment librement, sans contraintes excessives, notamment la nécessité d’arriver très vite à une solution.  Cela évite de laisser de côté les choses importantes. Au lieu de cela, on est dans une dynamique de stratégie émergente. Il y a donc d’après moi deux conditions de réussite : le Forum doit être initié de l’intérieur, et appuyé par les leaders légitimes. Il doit être centré sur ce qui est négociable, ouvert.

Par exemple , le jour où le patron est arrivé très mal à l’aise pour l’ouverture, sur la défensive  avec  un  message qui semblait dire « croyez-bien que tout ce que vous allez dire, nous y avons déjà pensé », ce jour-là le Forum Ouvert n’a pas produit de résultats intéressants .

Le Forum Ouvert, plus qu’un outil,  est un révélateur de potentiel, qui peut emmener l’entreprise vers l’ouverture, l’engagement d’énergie nouvelle. Il  peut être très productif, même économiquement. »

Mais il peut aussi  créer des tensions : ceux qui ont l’habitude de prendre des décisions à huis-clos se sentent dépossédés et n’apprécient pas cette façon de faire.  C’est vrai quelle que soit l’organisation. C’est réellement un outil d’ouverture, un révélateur même. »

Photo Christopher SchochChristopher Schoch est maintenant au Canada, où il accompagne des individus. A côté de cette activité, il peint, écrit et s’investit dans des projets caritatifs.  Il a également organisé et facilité le très beau Forum Ouvert de Bosch à Mondeville qui est resté dans les mémoires, et qui fera sans doute l’objet d’un article ultérieur.


[1] A notre connaissance


[i] VP : Vice-Présidents


 

 

crédit photo : UggBoy♥UggGirl


5 thoughts on “L’histoire du premier Forum Ouvert en France

  • Merci Christine à toi et à ton invité de ce rappel historique. Je retiens tout particulièrement cette idée « c’est le degré de liberté qui permet l’engagement » comme un défi au Management et au management. La solitude du dirigeant l’entraîne souvent vers plus de contrôle. Prendre le risque de lâcher prise peut être un acte fécond, la preuve est démontrée dans ces exemples, à quelques conditions comme le précise ton invité. Mais quel beau défi que celui de l’ouverture !

  • je connaissais l’histoire de ce Forum ouvert mais il est toujours bon d’en avoir le témoignage et le rappel. Faisant depuis longtemps de l’animation d’entretien et de groupes, je suis bien convaincue que la « facilitation » est bien plus adpatée à beaucoup de sujets mais aussi plus adaptée aujourd’hui aux nouveaux citoyens plus avertis/ et informés via Internet notamment.Quelle ouverture pour tous!
    Merci pour cette diffusion Christine

    • Merci beaucoup Marie. Je suis curieuse d’en savoir plus sur les circonstances et les échos que vous aviez de ce Forum. Je suis également d’avis que les attentes des citoyens/salariés/êtres humains sont de plus en plus importantes, et que dans ce contexte, cette forme de travail répond d’autant mieux aux aspirations de chacun.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Evolucio